Pour la 27e année consécutive, le Sénégal célèbre, ce lundi 03 décembre 2018, la Journée internationale des personnes handicapées, conformément à la résolution 47/03 de l’Assemblée générale de l’Onu. Ce sera sous le thème : «Participation citoyenne et politique des personnes handicapées». Une occasion pour «évaluer les politiques destinées aux personnes handicapées» ; «réaffirmer certains principes de base trop souvent oubliés et liés au respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine» et revoir le Plan d’actions handicap, afin que tous les ministères sectoriels concernés fassent le point sur leurs différentes initiatives en direction du handicap, notamment, sur le niveau de mise en œuvre de la «Loi d’orientation sociale». Belle opportunité de rappeler que ces personnes doivent pleinement vivre leur citoyenneté et jouir de leurs droits de participation aux affaires publiques et politiques.
La «Loi d’orientation sociale relative à la promotion et à la protection des droits des personnes handicapées» a été votée le 6 juillet 2010, sous le régime libéral du président Abdoulaye Wade. Mais c’est sous le règne de Macky Sall que l’application est devenue effective. Huit bougies d’anniversaire sur le gâteau. Et toujours ce même sentiment d’un verre à moitié vide ou à moitié plein. Cette loi qui s’inspire de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par le Sénégal le 7 septembre 2010, connait des obstacles. D’abord, les textes d’application. En effet, sur les 10 décrets d’application et 4 arrêtés ministériels prévus, seuls 2 décrets sont signés.
«Il y a un ensemble de 13 à 14 textes à prendre, mais on n’en a pris que deux. Il reste deux autres textes importants qui permettraient de faire des pas importants en avant. Deux seuls décrets ont jusque-là été signés. Le premier est le décret portant création des commissions techniques départementales qui doit instruire la carte d’égalité des chances et qui a été signé en octobre 2012. Le deuxième sur le Programme national de réadaptation à base communautaire (Pnrc) l’a été dans ce sens le 5 juillet 2018», informe Yatma Fall, président de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (Fsaph).
Des textes d’application toujours en attente
Lors du Conseil interministériel sur la Loi d’orientation sociale du 13 février 2018, le Premier ministre avait pourtant pris la ferme résolution que tous les textes d’application allaient être signés au plus tard le 30 juin de l’année en cours. Mais l’initiative n’est toujours pas suivie d’effets car, malgré ses engagements, le gouvernement traîne les pieds. Ce blocage empêche, notamment, la mise en place de la Haute autorité pour les droits des personnes handicapées. «Cette autorité a toute son importance en ce sens qu’elle gère la question transversale du handicap qui est multisectoriel et pluridisciplinaire.
La Haute autorité pour les droits des personnes handicapées sera aussi le mécanisme national de suivi de la convention», précise le président de la Fsaph. Le Fonds d’appui aux personnes handicapées connait également une lenteur. «Ce fonds vise à accompagner les handicapées mendiantes dans la rue, formation rudimentaire en matière de gestion, financement d’activités génératrices de revenus pour dignité», soutient encore M. Fall.
Le Fonds d’appui et la Haute autorité pour les droits des personnes handicapées
La Carte d’égalité des chances semble engendrer plus de problèmes qu’elle n’en résolve. Elle est un système de production sociale pour les personnes handicapées offrant des avantages dans tous les domaines. Mais celle-ci est bloquée par plusieurs contraintes décriées par les acteurs. D’abord, la «lenteur dans la production» jugée «insuffisante». Entre 2014 et 2017, les services de l’Etat n’ont produit que 50 006 cartes. En l’espace de trois ans, seules 50 000 sont produites au bénéfice d’une population estimée à deux millions d’habitants. Seulement, il y a un nouvel objectif du gouvernement de produire 40 000 autres cartes d’ici 2021. Ce qui fera un total de 90 000 en 2021, du moins si l’Etat respecte ses prévisions.
«Le niveau de production reste, à ce jour très insuffisant. Cela ne signifie rien car c’est très peu. Le niveau de production n’est pas bon et c’est pourquoi nous préconisons que la carte d’égalité des chances soit érigée en un programme national comme le sont la Cmu (Couverture maladie universelle) ou encore la Délégation générale aux bourses de sécurité familiale», fait en outre remarquer le président Yatma Fall.
Du côté de l’Etat, cette lenteur dans la délivrance de la Carte d’égalité des chances est liée à un problème d’état civil. «Beaucoup de personnes handicapées n’ont pas été déclarées à leur naissance», renseigne une source proche du ministère de la Santé. Outil pour l’émancipation des personnes handicapées, la Carte d’égalité des chances, c’est aussi ce sésame dont l’obtention est conditionnée au dépôt d’un dépôt auprès de la Commission de délivrance du ministère de la Santé et de l’Action sociale, lequel est composé de plusieurs pièces à fournir, dont le certificat d’invalidité. Mais disposer de ce document médical n’est pas chose aisée pour les personnes handicapées.
Seules 50 000 Cartes d’égalité des chances produites en 3 ans
En théorie, les détenteurs de la Carte en question peuvent bénéficier des sept avantages suivants : santé, réadaptation (appareillage), éducation, formation, emploi, transports et finances. Seulement, voilà : pour le moment, la santé et les finances sont les seuls avantages disponibles, d’où le «retard dans l’effectivité des services». Un diagnostic fait ressortir l’existence de problèmes liés à la santé, à l’appareillage et à l’accès aux services de réadaptation pour les personnes handicapées ainsi que des problèmes liés à l’éducation et à la formation.
Selon les chiffres officiels, on compte aujourd’hui à peu près 25 000 bénéficiaires des bourses familiales et 17 000 personnes handicapées éligibles à la Mutuelle de santé. «Le détenteur de la carte d’égalité des chances doit se faire enrôler auprès de la Mutuelle de santé de sa commune, avant de pouvoir bénéficier des soins de santé gratuits. Certains détenteurs de ladite carte bénéficient également, sous certaines conditions, de l’avantage Finances grâce à la bourse familiale», précise-t-on du côté de la Direction générale de l’Action sociale.
Le traité de Marakech toujours pas ratifié par le Sénégal
Le Sénégal n’a pas encore ratifié le traité de Marakech (adopté le 27 juin 2013) qu’il a pourtant signé. Or, celui-ci vise à faciliter l’accès des personnes mal voyants, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées. Selon Moussa Thiaré, coordonnateur pour l’Afrique francophone du traité de Marakech, celui-ci prévoit aussi une «démocratisation de l’accès au savoir» à travers notamment le format accessible. La «territorialité de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins», selon M. Thiaré, par ailleurs président d’Amitié des aveugles du Sénégal.